lundi 20 décembre 2010

« Seul le cercueil corrige le bossu »

Ce proverbe bélarussien résume bien la tragique situation du Bélarus. L'autoritaire Alexander Loukachenka reste au pouvoir et les changements politiques demeurent illusoires tant qu'il sera toujours en poste. Malgré les promesses et les efforts, il semble qu'un autocrate ne peut devenir un démocrate. Les progrès observés lors de la campagne présidentielle sont restés modestes et se sont révélés être de la poudre aux yeux dès le début du processus électoral. Finalement, le régime reste fidèle à lui-même: les résultats ont été falsifiés, les activistes de l'opposition arrêtés et la manifestation, violemment écrasée.


La mobilisation de tout l'appareil d'État pour fortement encourager et même forcer les électeurs à voter par anticipation avait déjà fait naître des soupçons chez les observateurs. Le vote par anticipation est en effet le plus facile à falsifier, car il se déroule sur plusieurs jours. Plus il y a de bulletins déjà placés dans les urnes, plus il y a de bulletins à 'corriger'. Tels que les rapports préliminaires l'indiquent, des observateurs ont pu voir comment des commissions électorales profitaient des pauses pour s'enfermer avec les urnes.

Le jour même du vote, les masques sont véritablement tombés: des dizaines d'activistes de l'opposition ont été arrêtés, la police a harcelé les responsables des partis et les sites des médias indépendants ont été piratés. Les autorités ont même créé des doubles des sites d'opposition pour envoyer les gens manifester à un autre endroit. Dans les médias gouvernementaux, des allégations étaient diffusées comme quoi l'opposition s'armait et se préparait à commettre des actions violentes.

Un peu avant la fin du vote, vers 19h, les premiers résultats des sondages de sortie des urnes étaient déjà disponibles sur internet: plus de 70% des votes pour le président actuel. Le hic, c'est que ces sondages avaient été commandés par le pouvoir, et qu'ils ont été menés par les mêmes compagnies qui avaient livré des chiffres identiques à ceux du régime lors des élections non-reconnues de 2006 et 2008. Des sondages menés par la télévision indépendante Belsat et par un centre d'analyse sociologique russe donnent entre 30 et 38% au président sortant. Officiellement, Loukachenka a été réélu avec près de 80% des voix, selon les résultats officiels du moment.

Les candidats avaient déjà annoncé la falsification massive des résultats et se préparaient à défendre leurs droits sur la place d'Octobre le soir du 19 décembre. Six d'entre eux avaient appelé leurs partisans à s'assembler là pour protester. Le ton de la soirée a été donné vers 19h, quand le principal candidat de l'opposition et son groupe se dirigeaient vers la place. Un groupe d'hommes habillés en noir a violemment attaqué (voir le vidéo) le groupe avec des explosifs, ont tabassé plusieurs personnes, dont le candidat Ouladzimir Niaklaïev, et ont détruit le matériel de diffusion audio du groupe.


Malgré toutes les menaces et l'attaque sur le groupe de Niaklaïev, les citoyens ont convergé sur la place d'Octobre, qui est devenue noire de monde. Vers 21h30, la foule estimée à près de 15-20 000 personnes s'est déplacée vers la place de l'Indépendance, à quelques centaines de mètres de là. Les plans semblaient confus et les gens ne savaient pas dans quel but les candidats Sannikau, Statkiévitch et Rymacheuski les avaient menés là. Sur cette place, les candidats ont continué les discours et réitéré leurs demandes de recommencer les élections sans Loukachenka. Selon leurs dires, le pouvoir devait négocier avec eux.

Les événements prirent une tournure différente quand des manifestants commencèrent à briser des vitres du siège du gouvernement et tentèrent d'y entrer. Jusqu'à maintenant, il n'est pas clair à savoir s'il s'agissait d'agents-provocateurs en civil ou bien de manifestants. Selon les images, il y a bien là quelques manifestants. Certains journalistes présents ont pour leur part soit identifié les casseurs comme des manifestants anti-Loukachenka, soit vu en eux des provocateurs. De nombreux agents habillés en civil étaient effectivement dans la foule et auraient pu agir pour encourager la casse et y participer.

 Manifestants, agents-provocateurs, ou les deux?

Les orateurs ont plutôt laissé faire cette casse malgré les quelques appels à la retenue. Quand certains manifestants se dirigèrent à nouveau vers le bâtiment pour y pénétrer de force, ils découvrirent que les portes étaient barricadées et que les forces spéciales les attendaient. Les AMAP, forces spéciales, sautèrent sur les manifestants qui approchaient pour leur empêcher d'entrer. Les policiers ont ensuite commencé à avancer sur la foule, après l'arrivée de quelques centaines de policiers anti-émeute en renfort. Les orateurs et candidats à la présidence furent encerclés et les forces de l'ordre se sont lâchées sur la foule. Voir le photo-reportage ici.


Ce fut la débandade sur la place de l'Indépendance. Plusieurs scènes de passages à tabac et de manifestants ensanglantés témoignent de la violence de l'intervention. Quelques centaines de manifestants ont été arrêtés, dont cinq candidats à la présidence. Niaklaïev a été carrément 'enlevé' de l'hôpital par des inconnus. Il n'est impossible de savoir si la police comptait sur une provocation pour ensuite se jeter sur la foule, si les manifestants leur ont donné le prétexte eux-mêmes, ou bien encore si les forces de l'ordre avaient de toute façon l'intention de violemment disperser la foule. Ce qui est certain, c'est que toute la machine de propagande bélarussienne insiste sur les intentions violentes de l'opposition et sur la réaction appropriée de la police. La télévision nationale a annoncé une foule de trois mille (sic) 'pogromeurs' (погромщики), i.e. massacreurs. Loukachenka a salué aujourd'hui l'action de sa garde, qui a "défendu le pays contre la barbarie".

Dans la nuit, les arrestations de responsables de l'opposition ont continué et les médias indépendants décomptent près de 380 personnes arrêtées. Il est fort probable qu'un procès soit organisé contre les candidats de l'opposition pour organisation de désordres. Le candidat social-démocrate Alexandar Kazouline avait été condamné à cinq ans et demi après une manifestation violemment écrasée par la police en 2006. Il avait été gracié après deux ans et demi derrière les barreaux. La réaction du pouvoir sera-t-elle semblable cette fois-ci?

Aujourd'hui, la mission d'observateurs de l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) a annoncé en conférence de presse qu'elle ne pouvait reconnaître les résultats du scrutin à cause des nombreuses infractions aux standards internationaux pendant le décompte des voix. Elle a de plus dénoncé la violence avec laquelle les forces de l'ordre ont dispersé les manifestants dimanche soir, ainsi que la détention des candidats de l'opposition.

La Russie a de son côté préféré ne pas commenter les événements, le président Dimitri Medviédev se contentant de dire qu'il s'agissait d'une affaire interne pour le Bélarus. Cependant, la reconnaissance des élections par la Communauté des états indépendants (CÉI – regroupement de plusieurs états post-soviétiques) laisse penser que la Russie reconnaît à demi-mot la victoire de Loukachenka.

Maintenant que Loukachenka sait qu'il ne peut plus espérer recevoir l'appui de l'Occident et que la Russie lui fournira toujours un certain support, est-ce qu'il réduira l'opposition en miette comme dans les mois qui ont suivi les protestations de 2006? Qu'aura-t-il à gagner d'une démocratisation du pays? L'opposition qui se rassemblera à nouveau ce soir vers 18h se retrouve sans ses principaux meneurs et les forces sont divisées. En effet, le candidat Jaraslau Ramantchouk a aujourd'hui rejeté la faute des désordres sur ses collègues et beaucoup de citoyens sont dégoûtés par la tournure des événements. Il semble qu'une fois de plus, l'opposition a été dépassée par l'ampleur de la protestation et n'avait pas de réel plan d'action.

En attendant, le peuple bélarussien se retrouve dans la même situation qu'il y a cinq ans, à moins que d'autres meneurs se lèvent dans les prochains jours et que la protestation aille en s'amplifiant. Les candidats de l'opposition présents lors de la manifestation ont annoncé hier la création du "Mouvement pour des élections sans Loukachenka". Sera-t-il capable de mobiliser les gens? Le projet de grève générale annoncé par plusieurs candidats peut-il se concrétiser dans ce pays? À suivre...


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