mercredi 16 février 2011

Cauchemar bélarussien


Elle ne s'était jamais douté que son choix pourrait avoir des conséquences aussi graves pour sa famille. Après la chute de l'Union Soviétique, Sabira Atakichyeva a demandé la nationalité russe avant de quitter la Lettonie pour s'établir au Bélarus en 1995. Vu les commodités réservées aux citoyens russes là-bas, elle et sa famille n'ont jamais cherché à se faire naturaliser. Maintenant, son fils Ivan Gaponov, 22 ans, se retrouve otage des mauvaises relations bélarusso-russes. Il risque entre 3 et 8 ans de prison.


«Je lui ai dit quand il se préparait à aller sur la place (à la manifestation du 19 décembre contre la falsification du scrutin présidentiel): 'Ivan, n'oublie pas, tu es citoyen russe.' Mais pour lui, c'était une question de principe,  il a grandi ici, il vit ici, il devait y aller.» Sabira a une cinquantaine d'années et parle d'une voix calme. Elle raconte son histoire une fois de plus. Dans la cuisine du Centre de défense des droits humains Vïasna (printemps, en bélarussien), nous sommes deux journalistes à l'écouter.

Vers 23h ce fameux 19 décembre 2010, la mère reçoit un coup de fil de son fils depuis un autozak, comme on appelle les paniers à salade de la milice au Bélarus. Comment plus de 600 personnes, il a été arrêté par les forces anti-émeute bélarussiennes lors de la violente dispersion de la manifestation. À la base, son histoire ne diffère en rien de celle de centaines de jeunes Bélarussiens. Comme beaucoup d'autres, il est condamné à 10 jours de prison. D'autres ont moins de chance et ont reçu deux semaines. Ivan rentre chez lui le 29, l'incident semble clos. Cependant, dans la soirée-même, deux policiers viennent le chercher, «pour une simple vérification». Plus tard, il appelle pour dire à sa mère qu'ils l'emmènent à l'Akrestsina (prison tristement célèbre) pour trois jours.

Finalement, Sabira Atakichyeva apprend que son fils est inclus dans le groupe d'organisateurs politiques et d'ex-candidats à la présidence. Ceux-ci sont accusés d'organisation d'émeutes et risquent entre 5 et 15 ans de prison. Le monde s'écroule alors pour cette simple femme originaire du Kirghizstan, mère célibataire de trois enfants. Elle qui ne s'est jamais intéressée à la politique dit n'avoir jamais autant lu sur le sujet que lors du dernier mois. Comme d'autres, elle est convaincue que son fils est ciblé parce qu'il a la nationalité russe. Sa condamnation pourrait être un de ces coups bas portés de part et d'autre dans la guerre froide entre Minsk et Moscou.

La Russie ne s'est pas empressée de féliciter Alexïandar Loukachenka pour sa 'victoire'. Le président Dimitri Medvedev a préféré attendre les résultats officiels avant d'émettre un communiqué, même si les résultats préliminaires de 72% indiquaient bien que Loukachenka s'était déjà donné une confortable avance. Dès lors, la douzaine de citoyens russes qui avaient été arrêtés ont fait l'objet d'un intense marchandage entre les deux côtés. Les autorités ont réclamé leur libération à grands cris et ce n'est que le 29 qu'ils ont été libérés, quelques jours avant la fin de leur peine.

En renvoyant en prison deux d'entre eux, Ivan Gaponov et Artiom Breus, il semblerait que les autorités bélarussiennes ait voulu à nouveau mettre de la pression sur Moscou. Le ministre des affaires étrangères russe, Sergeï Lavrov, a déclaré qu'il considérait «inacceptable» la détention des deux citoyens. Celui-ci a même ajouté que les accusations portées contre eux ne sont pas 'sérieuses'. À Minsk, le consulat russe fait des pieds et des mains pour obtenir leur libération et a déjà obtenu des autorités bélarussiennes que l'affaire passe devant un juge plus tôt que pour les autres accusés. De plus, ils ne sont plus accusés d'avoir organisé une émeute, mais plutôt d'avoir participé à une émeute, ce qui encourt une peine moins lourde.

Les officiels russes n'hésitent pas à mettre ouvertement en doute la solidité des accusations portées contre leurs concitoyens. Plusieurs fois, ils ont répété qu'il n'y avait aucune preuve contre Gaponov et Breus et ont exigé leur libération. Selon le conseiller de l'ambassade Vadim Gousev, «On a l'impression que le côté bélarussien essaie de ne pas remarquer les faits évidents témoignant de l'innocence de nos compatriotes. Tout comme précédemment, il n'y a pas de preuves vidéo et photo de la participation active de Breus et Gaponov à la manifestation du 19 décembre sur la place à Minsk.»

Il est vrai que ces deux jeunes hommes font figure d'intrus parmi les quelques quarante politiciens et activistes accusés de l'organisation d'émeutes. Ils ne font partie d'aucun parti politique et ne sont pas connus pour leur engagement dans l'opposition. Contrairement aux autres, ils n'ont jamais contribué à l'organisation de la manifestation et ils n'ont pas été aperçus près du bâtiment du gouvernement où quelques vitres ont été cassées. Bref, il est évident que la ténacité avec laquelle la justice bélarussienne tente de les incriminer a des causes plus profondes.

Malgré tout ce qui se passe, Sabira Atakichyeva garde espoir de voir les accusations retenues contre son fils être lâchées. Elle est très reconnaissante envers le consulat russe, qui l'aide beaucoup et suit l'affaire de près. Elle parle avec affection de son fils, de ses enfants, avec qui elle dit avoir d'excellentes relations et elle dit qu'elle est très fière de son fils. Celui-ci, qui suivait une formation de potier, «a de bonnes valeurs, de bons amis, et en plus il écrit, vous savez, il aimerait bien étudier la littérature» dit-elle avec un accent de fierté. Elle se dit qu'au moins, il aura de quoi écrire après cette expérience carcérale...


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